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Carnets d’airain

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Carnets d’airain

Excipit du spectacle Liquescence: danses parisiennes, Université Paris IV, février 2016.

Je rêvai mille nuits d’un enfer, et à mon réveil, je subis autant de déplacements souterrains. En longeant, encore narcotisée, les caves des suppliciés qui de mes cauchemars s’étaient transposés dans ma vie éveillée, je compris qu’il y avait des châtiments bien plus obscurs que la soif ou l’implacable insistance, sur le corps, des matières terrestres. Le feu, l’eau et la pierre étaient des délices comparés à la conscience envahissante qui me fouettait. Elle rampait avec moi à travers les carrières, me suggérait de prendre les détours les plus aqueux, attendant impatiemment ma noyade.

Après des étroites passerelles, où ma conscience rit de me voir allongée dans une eau caverneuse qui remontait jusqu’à mes épaules et cherchait avidement ma bouche et mes narines, je parvins, fort heureusement, à une longue ligne de tourniquets qui semblait n’avoir été fréquentée par personne. Malgré la solitude et le délabrement des murs, je reconnus l’ancien hangar de Denfert-Rochereau. Les panneaux, le comptoir, les portes et les grilles étaient étrangement rouillés, et la lumière qui couronnait la fin des murs était orange et ocre, comme un présage de pluie de feu. En remontant à la surface, j’avais laissé derrière moi une dizaine de flaques d’eau. J’espérais que la moiteur de mes pieds s’évaporerait dans la nouvelle lumière, et je passai de l’autre côté des tourniquets.

Dans son fonds d’orage, la place Denfert-Rochereau était devenue un immense marécage. Même les arbres élançaient leurs maigres troncs vers des altitudes plus sèches. Au bord de l’eau, les branches s’entrecroisaient, formant un treillis jaloux qui parvenait à assombrir le paysage par endroits. Au demeurant, la place était reconnaissable. Quelques capots d’automobiles échouées indiquaient l’ancien l’emplacement de la rotonde, et je pouvais distinguer au milieu du feuillage le grand lion de Belfort. Je compris à ce moment que je n’étais pas destinée à la victoire, et que mon duel avec Paris ne pouvait s’achever en dehors des matières qui nous avaient toujours opposées. Elle était pesante, moi j’étais légère, mais dès que j’avais choisi d’y entrer, son limon m’avait éclaboussée et j’en avais jusqu’aux cuisses. Je devais donc m’y rendre, je devais avancer dans la boue autant que mon corps me le permettrait.

La marche fut longue, mais Paris avait compris ma détermination et me laissait traverser le marécage. Le limon commençait à s’épaissir, la moiteur me frappait jusqu’aux os. Arrivée devant le grand lion, mon torse seulement dépassait l’eau, et j’étais étrangement allongée, étirée, comme si j’avais cessée d’être humaine pour devenir aussi végétale que tout ce qui m’entourait. J’effleurai mon visage du bout des doigts et je sentis à la place de ma peau des pétales longs et duvetés. Au milieu des palétuviers, je me rendis à l’appel de l’amour et de l’airain, j’élevai ma corolle rouge au ciel, et je criai.

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